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Frank Buchman et les Alcooliques anonymes

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‘Un héritage qui perdure : les groupes anonymes. La demande de pardon qui a été à l'origine d'un’. Par Jay Stinnett, Los Angeles

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Le 27 juillet 2008 a marqué le 100ème anniversaire du Réveil spirituel de Frank Buchman – un événement qui le relia directement aux co-fondateurs des Alcooliques anonymes (AA).

Jeune homme, Buchman donna tout ce qu’il avait pour mettre sur pied un hospice pour garçons sans abri dans les taudis de Philadelphie. Le succès de cet hospice dépassa son budget et les six membres du conseil de direction insistèrent pour qu’il diminue la quantité de nourriture donnée à ses protégés. Il préféra démissionner plutôt que d’appliquer des réductions. Le ressentiment le rongeait. Sa famille désespérait de le voir revenir à la raison. Son travail était saboté par ce qu’il voyait comme le manque de vision des autres. Sa santé avait de loin dépassé le point de rupture. Plus tard, il a dit: « Partout où j’allais, je me retrouvais en face de moi-même ».

Au cours d’un voyage en Europe pour se refaire une santé, il épuisa les fonds que son père lui avait donnés et survécut grâce à la bonté de sa famille et la générosité de connaissances. Fatigué et découragé, il se rendit à une conférence évangélique à Keswick, en Angleterre, espérant entrer en contact avec F.B. Meyer, un pasteur célèbre qu’il connaissait, espérant en recevoir une aide spirituelle. Meyer n’y participait pas ; encore un plan qui échouait. Le 27 juillet 1908, le trentenaire Frank Buchman, pasteur luthérien de Pennsylvanie, se rendit avec 17 personnes pour écouter Jessie Penn Lewis prêcher sur la croix du Christ lors du culte de l’après-midi. Et c’est là que c’est arrivé. Alors qu’il était assis dans cette chapelle. « Il y a eu un moment de sommet spirituel concernant ce que Dieu pouvait faire pour moi. Je suis devenu un homme nouveau. Ma haine avait disparu… J'ai compris que je devais écrire six lettres à ces hommes que je haïssais. »

« Je vous écris » a déclaré Buchman, « pour vous dire que j’ai eu à votre endroit des sentiments peu aimables – j’ai réussi parfois à les surmonter, mais ils revenaient toujours. Nos idées peuvent différer, mais en tant que frères nous devons nous aimer. Je vous écris pour vous demander pardon et vous assurer que je vous aime et que je suis confiant que par la grâce de Dieu je ne parlerai plus jamais de vous en termes méchants ou de façon désobligeante. » Ces lettres d’excuse ont engendré une révolution en Frank Buchman, une révolution qui donna naissance aux Alcooliques anonymes.

Ce soir-là, on présenta à Frank un jeune homme de Cambridge, qui en entendant l’histoire de la transformation morale de Buchman prit la décision de changer sa propre vie. Ainsi que l’a décrit Buchman, « C’était la première personne parmi mes connaissances que j’avais mis face à face avec cette expérience capitale ». Pendant la moitié du siècle suivant, Buchman consacra sa vie à démontrer qu’une expérience de Dieu était possible pour chacun et en tout temps, quelle que soit sa race, sa religion, sa classe sociale ou sa nationalité. 

De l’Angleterre, Frank retourna aux Etats-Unis, où il s’engagea comme directeur du YMC1 à l’université de Penn State. Là, il eut une profonde influence sur la vie du campus, grâce en partie à la conversion du bootlegger2 du campus qui, au cours d’un voyage à Toronto avec Frank et un groupe d’étudiants de Penn State prit la décision de changer de vie. Après avoir écrit, avec l’aide de Frank, une lettre d’excuses à sa femme, le bootlegger cessa de boire et parcourut le monde avec Frank pour témoigner de son changement. Frank Buchman a décrit les quatre années passées à Penn State comme lui ayant servi de laboratoire pour le développement d’un programme d’action concret et appris comment avoir des conversations honnêtes qui amenaient les gens à prendre des décisions pour changer leur vie.

La formule qu’il mit au point fut : 1. De partager nos péchés et nos tentations avec une autre personne dont la vie est donnée à Dieu, et d’utiliser le partage comme témoignage pour aider les autres n’ayant pas encore changé à reconnaître et à accepter leurs péchés. 2. De remettre notre vie passée, présente et future entre les mains de Dieu et sous sa direction. 3. De réparer les torts faits à tous ceux à qui nous avons fait, directement ou indirectement, du mal. 4. D’écouter, d’accepter, de faire confiance aux directives de Dieu et de les mettre en pratique dans toutes nos paroles et nos actes, grands ou petits.

Cela vous rappelle quelque chose ? La mise en pratique de ce plan d'action révolutionna la vie spirituelle du campus et son succès attira des Chrétiens évangéliques du monde entier qui voulaient découvrir ce qui se passait dans ce campus de seconde zone, et qui avait été paralysé par les dissentions. Après Penn State, Frank partit pour la Chine en 1917 ; là-bas, une conversation franche avec le jeune Sam Shoemaker aida ce dernier à lui déclarer : « En matière de religion, je n’ai été qu’un escroc, prétendant servir Dieu, mais gardant en main tous les atouts. Maintenant je Lui ai dit combien je le regrette et j’espère que vous me pardonnerez d’avoir nourri à votre égard des sentiments de malveillance qui ont surgi au moment où vous avez mentionné le mot « péché » ! Buchman avait répondu qu’il lui pardonnait volontiers.

“Que faire maintenant ?” avait demandé Shoemaker. La prochaine étape était de s'excuser auprès de la classe d’études bibliques de Sam. Il avoua à ses étudiants chinois qu’il détestait la Chine. Cet aveu provoqua chez Sam une expérience spirituelle tellement intense qu’elle le conduisit à travailler en étroite collaboration avec Buchman pendant les vingt-et-une année qui ont suivi et à apporter la révolution du « Christianisme du Premier Siècle » (plus tard appelé Groupe d’Oxford) au monde entier. Des conférenciers venant de tous les coins du monde étaient appelés à venir partager leurs expériences, leur force et leur espoir tant au cours de grandes réunions que dans des assemblées ayant des intérêts spécifiques. Des hommes racontaient leur histoire dans des assemblées d’hommes, des femmes dans celles des femmes ; il y avait même des forums pour les toxicomanes, les boulimiques et les alcooliques.

Lors de ces assemblées, aussi bien les conférenciers que des membres expérimentés étaient disponibles pour des « entretiens personnels » au cours desquels le partage et l'abandon à la volonté divine pouvaient avoir lieu. Les participants étaient ensuite encouragés à réparer ce qui était réparable et à pratiquer chaque jour un « moment de silence» pour être inspirés sur la manière de gérer leur vie. Lorsqu’on insistait pour avoir sa définition du péché, Buchman disait, « Ce qui est un péché pour une personne pourrait ne pas en être un pour une autre. La véritable définition du péché est quelque chose qui vous sépare de Dieu ou de votre entourage ». En 1922, Jim Newton, un jeune vendeur aimant faire la noce, suivit un groupe de jeunes femmes dans la salle de bal d’un hôtel, pensant qu’elles y allaient pour danser. Consterné, il se trouva au milieu d’une « house party » du Groupe d’Oxford à la Taverne de Toy Town à Windenton dans le Massachusetts, où il entendit le message qui changea sa vie. Buchman le référa à Shoemaker, qui l’aida à faire le bilan de sa vie, à remettre sa vie à Dieu, à réparer ses torts et à commencer à vivre une vie « guidée par Dieu ». 

Si vous souhaitez connaître la technique d’accompagnement du Groupe d’Oxford, lisez les pages 85 – 87 du livre « Alcooliques anonymes ». 

Quelques années plus tard, Jim Newton avait essayé d’aider Bud Firestone, le fils alcoolique de son employeur Harvey Firestone, à changer de vie mais sans y parvenir. Il présenta Bud à son mentor, Samuel Shoemaker, qui avait un don remarquable pour amener les gens à prendre des décisions ; c’est ce qu’il fit avec Bud qui perdit immédiatement son obsession pour l’alcool, fit des excuses à son père et à sa femme et rentra dans les bonnes grâces de sa famille. Harvey Firestone fut tellement impressionné par le changement survenu chez son fils qu’il réussit à convaincre ses collègues industriels d’Akron dans l’Ohio de sponsoriser une « house party » du Groupe d’Oxford, qui eut lieu en janvier 1933 à l’Hôtel Mayflower. Buchman et son équipe furent accueillis par le Révérend Walter Tunks, un ami proche de la famille Firestone ; Henrietta Seiberling, T. Henry et Clarace Williams étaient également présents. Ils allaient devenir les fondateurs des rencontres de West Hills du Groupe d’Oxford à Akron. 

Toujours en 1933, le ministère de Shoemaker à l’Eglise du Calvaire, au Parc Gramercy de la ville de New York, était un centre d’activités du Groupe d’Oxford. Il s'y tenait des réunions du groupe trois fois par semaine, où des participants partageaient les changements de vie qu’ils avaient découverts en appliquant les principes du Groupe d’Oxford. Shoemaker fonda également la Mission du Calvaire, un hébergement pour hommes alcooliques sans ressources. Plusieurs familles importantes avaient des liens avec l’Eglise du Calvaire, parmi elles la famille Hazard, dont le fils aîné Rowland avait été décrit par Bill W. comme « un homme d’affaires capable, ayant du bon sens et une grande intégrité… qui néanmoins passait d’un sanatorium à l’autre. » Rowland était revenu d’Europe après une énième tentative de mettre de l’ordre dans sa vie en consultant le Dr. Carl Jung. Rowland continuait à boire mais aussi à se rendre aux réunions du Groupe d’Oxford à l’Eglise du Calvaire.

Parmi les personnes qu’il rencontrait à l' Eglise du Calvaire se trouvait Vic Kitchen, auteur de « J’étais un païen » (publié en 1934), qui décrivait comment il avait été délivré, grâce au Groupe d'Oxford, de l’alcoolisme, de la toxicomanie et de « tout ce qui pouvait me procurer du plaisir, du pouvoir ou de l’admiration ». Lors d’un voyage d’affaire à Détroit, Rowland lut le livre, s’y identifia profondément et, comme le dit Shoemaker, « changea sur le champ, dans le train. » Rowland cessa de boire, se réconcilia avec sa famille, répara ses torts envers les victimes de ses procédés en affaires discutables, devint actif dans l’équipe des hommes d’affaires du Groupe d’Oxford, témoigna aux assemblées et encouragea d’autres à trouver ce que lui-même avait trouvé.

L’une des nombreuses personnes que Rowland avait touchées fut un ancien camarade de jeunesse, Edwin « Ebby » T., qui était menacé d’être incarcéré pour ivresse chronique. Rowland, dont le problème avec l’alcool était bien connu, convainquit le juge de relâcher Ebby et de le lui confier. Deux semaines plus tard, Ebby prenait la parole lors des réunions du Groupe d’Oxford de la région du Vermont, et après quelques semaines passées avec Rowland (qui faisait partie du groupe depuis juste six mois), récemment redevenu sobre, Ebby rejoignit la Mission du Calvaire de New York et s’y activa. Après six semaines de sobriété, Ebby fut inspiré à retrouver un autre ami d’école, Bill W., dont on savait qu’il était dans un triste état. Bill n'en revenait pas du changement qui s’était produit chez Ebby, dont il connaissait le passé d’ivrogne invétéré, pareil au sien, et qui pourtant était sobre. Quelques jours plus tard, Bill alla voir Ebby à la Mission du Calvaire, donna du podium un témoignage passionné mais néanmoins éthylique et peu après aboutit à l’hôpital de Townes. Eddy lui rendit visite, lui fit refaire connaissance avec les étapes du Groupe d’Oxford, après quoi Bill fit sa propre expérience de la grande lumière blanche, perdit la compulsion de boire et fut pris du désir de transmettre son expérience à d’autres.

A sa sortie de l'hôpital, lui et Lois commencèrent aussitôt à participer aux réunions du Groupe d’Oxford à l’Eglise du Calvaire, où ils eurent de fréquents contacts avec Sam Shoemaker. Selon Lois, ils participèrent à au moins trois réunions par semaine et prirent part aux « House parties » pendant les trois premières années de sobriété de Bill. Après six mois de sobriété, Bill se rendit à Akron, dans l’Ohio, pour une affaire qui ne se fit pas. Désespéré, il fut tenté d'entrer pour boire dans le bar du même Hôtel Mayflower où s’était réuni le Groupe d’Oxford.

Mais il eut la pensée d'aider quelqu'un qui aurait un problème d'alcoolisme et se mit à rechercher s'il y avait un membre des Groupes d'Oxford à Akron. Cela le conduisit finalement à Henrietta Sieberling, qui connaissait juste la personne qu’il lui fallait. Un proctologue de la ville, qui pensait être un buveur caché, participait depuis deux ans avec sa femme aux réunions du Groupe de West Hills, avec un problème d'alcool qui ne faisait que s’aggraver. Plus tard, le médecin a décrit ainsi son impression du Groupe de West Hills : « J’étais embarqué dans une foule… je sentais que ces gens avaient quelque chose que je n’avais pas et dont je devrais pouvoir facilement tirer profit. J’appris qu’il s’agissait de quelque chose de l’ordre du spirituel, ce qui ne m’attirait pas beaucoup, mais je pensais que ça ne pourrait pas me faire de mal. » Bill W. rencontra Bob S. (appelé affectueusement Dr. Bob) le jour de la Fête des mères de 1935. Bob cessa brusquement de boire. Bien qu’il acceptât la description de maladie mortelle que faisait Bill de l’alcoolisme et les étapes du Groupes d’Oxford comme la solution, Bob craignait que de s'excuser auprès des personnes auxquelles il avait fait du mal détruirait sa clientèle et mettrait sa famille en danger. 

Peu de temps après, il s’était remis à boire et était complètement démoralisé. Alors qu’il allait pratiquer une opération, Bill avait stabilisé sa main avec une bouteille de bière et un barbiturique. Avant d’entrer à l’hôpital, Bob dit à Bill : « Je vais y arriver. » Cet après-midi-là, il ne rentra pas à la maison. Sa femme et Bill craignaient fortement qu’il se soit remis en piste. Il rentra tard ce soir-là et annonça à ceux qu’il aimait, effrayés, qu’il avait fait des excuses aux personnes auxquelles il avait eu trop peur d’avouer son alcoolisme. Bob S. ne toucha plus jamais un verre. L’anniversaire des AA ne se fête pas le jour où Bill W. cessa de boire, ni celui où il fit la connaissance de Dr. Bob, mais celui où Bob cessa de boire et fit ses excuses.

Entre il y a 100 ans à Keswick et il y a 73 ans à Akron et jusqu’à aujourd'hui, des femmes et des hommes font la preuve de leur réveil spirituel en demandant pour leurs erreurs passées, en réparant ce qui peut l'être et en rectifiant leurs erreurs. La métamorphose de Frank Buchman fut remarquable. Il mit en place un programme de développement personnel qui affecta foyers et nations. Il s’agit d’un programme pratique d’action utilisant les quatre standards de l’honnêteté, de la pureté, du désintéressement et de l’amour absolus Au cours du dernier centenaire, la vision de Buchman s’est transmise sous différents noms : Mouvement des chrétiens du premier siècle, le Groupe d’Oxford, le Réarmement moral et, depuis 2001, Initiative et changement, qui continue à panser les blessures de l’histoire en rebâtissant la confiance au cœur des divisions du monde. Sans Frank Buchman, ceux qui à l’heure actuelle font partie de nombreux programmes anonymes n’auraient pas ses 12 étapes et ne seraient pas libérés. Son réveil spirituel et les actes qui l’ont suivi ont véritablement lancé un million d’amendes honorables et transformé des millions de vies. 

1 Union chrétienne de jeunes gens

2 Trafiquant d’alcool

Langue de l'article

English

Année de l'article
2008
Autorisation de publication
Accordé
L'autorisation de publication fait référence aux droits de la FANW de publier le texte complet de cet article sur ce site web.
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